Les trois enfants de Christian Il de Danemark


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En janvier 1526, Isabelle de Habsbourg, reine du Danemark et sœur de l'empereur Charles Quint, laisse derrière elle trois enfants : Jean, huit ans ; Dorothée, cinq ans et Christina, trois ans. Le portrait de la cadette, alors promise à Henry Vlll, sera peint plus tard par Hans Holbein le jeune (1497/1498-1543). Le triple portrait de la Royal Collection, dont on pense qu'il a été peint l'année de la mort de leur mère, présente les trois enfants en tenues sombres de deuil. Leur père, Christian Il de Danemark, les enverra à Malines poury être élevés par leur grand-tante, Marguerite d'Autriche, gouverneur des Pays-Bas, qui avait auparavant endossé les mêmes responsabilités pour leur oncle Charles Quint.

Le portrait est curieux. Les trois figures semblent à l'étroit, autour d'une table recouverte d'un tissu vert. Jean, au centre, porte son regard sur le spectateur, la tête légèrement tournée, mouvement mis en valeur par l'inclinaison de la coiffe noire, trop grande pour lui. Ses deux soeurs ont le regard perdu dans le vide, comme si elles n'avaient pas conscience d'être observées. L'artiste a choisi ce dispositif pour faire passer un sentiment de gravité et de profond chagrin. La pose de Jean est particulièrement efficace ; il semble protecteur et interrogateur.

Le lien entre les trois enfants est illustré par leur proximité physique : tels qu'ils sont peints, ils empiètent littéralement les uns sur les autres, formant un trio familial fort et uni. La main gauche de Jean est fermement posée sur la table, sous le bras de la plus jeune de ses soeurs, et sa manche droite masque le bras gauche de Dorothée. Le style caractéristique de Gossaert fait ressentir une certaine gêne du fait du placement des figures et de la gravité accentuée de leur expression.

La composition est un tour de passe- passe d'illusionniste. Tout contre le cadre, dans le haut et sur les deux côtés du tableau, un cadre intérieur fictif a été peint pour donner l'impression d'une continuité du cadre réel, projetant ainsi les enfants hors du cadre, dans notre espace. Artiste favori de Philippe de Bourgogne - fils illégitime de Philippe le Bon -, Gossaert était très au fait des vanités de la cour.

Il était habituel de peindre les portraits des enfants de personnages importants comme s'ils étaient déjà des adultes. Dans le cas qui nous occupe, le prince héritier semble déjà investi de son rôle régalien, avec Dorothée, sa reine, et Christina, leur fille, manière de montrer le statut royal de l'ensemble de la fratrie.

Le seul élément léger du portrait, ce sont les fruits : des coings pour les Elles et des cerises pour Jean. lls ne semblent revêtir aucune signification particulière, mais tiennent peut-être lieu de symbole de maturité, car ces enfants, fruits de la matrice de leur mère, sont eux aussi appelés à mûrir pour entrer dans l'âge adulte.


Texte : Desmond Shawe-Taylor et Jennifer Scott (dans "De Bruegel à Rubens") The British Royal Collection.

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