-"La paix, c'est quand tu peux aller à l'école, à pied, en traversant le village, en disant bonjour à l'épicier, en regardant voler les hirondelles, et en tenant ta petite soeur par la main."
   -"Papa, j'ai pas de petite soeur !"
    Mais le petit garçon, voyant une larme rouler sur la joue brûlée d'eczéma de son père, ce vieillard de quarante ans sans cheveux et sans dents, au dos voûté et aux yeux perpétuellement rouges, baissa le nez vers le plancher. Il avait quatre ans et n'avait pas très bien compris, mais il voyait bien qu'il avait mal son "papa chéri", pas mal dans sa chair comme tout le monde tout le temps, mais mal dans son coeur. Il resta silencieux un instant, puis, n'y tenant plus :
   -"Papa ?"
   -"Oui ?" La voix était éteinte, l'homme quitta des yeux les écrans de contrôle pour regarder son fils conçu dans l'horreur d'une nuit d'alerte, une de ces nuits où l'air devient rouge, où les abris deviennent souvent des tombeaux, où la peur atteint une telle intensité qu'elle n'offre plus qu'un seul exutoire : l'instinct animal de se perpétuer avant de mourir. Il contempla avec un amour sans limite cet être chétif dont la moitié du visage n'était qu'une gaine de peau lisse, sans orifice, sans oeil gauche, sans oreille. Il sourit au regard bleu et cyclopéen de son petit garçon, et eut une ridicule bouffée d'orgueil en pensant aux "choses" qu'étaient souvent ses petits camarades de classe. Son gamin était presque normal, et pour lui, il était beau.
   -"Papa...", demanda le bambin qui ne maîtrisait pas encore vraiment la notion de temps, "la paix, c'est à quelle heure ?"

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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