- Votre naviguateur ne reconnait pas les frames -
Jeudi 16 Mai
Jour d'épouvante qui restera à jamais gravé dans nos
mémoires. Les Allemands ont condamné Maubeuge à mourir
aujourd'hui.
Il est à peine 9 h ce matin quand le concert infernal commence - il
ne cessera pas de la journée - Des vagues d'avions déversent
leurs chapelets de bombes rue de la Croix, sur l'Hôpital Militaire installé
Place Verte (dans la Clinique privée Christophe) sur l'abattoir, les
péniches qui remontent la Sambre, sur le cimetière tuant les
soldats venus enterrer leurs camarades... A l'Hôpital tout vacille,
toutes les vitres, partout ont éclaté en 1 000 morceaux. On
prie tout haut avec les malades pour faire face à la peur qui nous
étreint. Mais eux, sont plus terrifiés encore que nous, car
ils gardent les visions d'épouvanté de leur fuite. Avec cris
et larmes ils supplient qu'on les descende dans de bons abris ou mieux qu'on
les expédie vers l'intérieur, vers des villes "où
l'on ne bombarde pas" (!) Hélas !!
A 11 h, une 2e vague de bombardiers enflamme toute la rue de France et le
quai des Nerviens qui fait face à l'Hôpital, côté
cour. Les entrepôts Aguettand et Serre avec leurs fûts d'huile,
d'essence et de toutes sortes de matières inflammables lancent vers
le ciel des flammes d'une hauteur incroyable, au milieu du bruit infernal
des explosions. La Sambre est rouge, on dirait un fleuve de feu de l'enfer
de Dante. Et nous sommes là, aux toutes 1 ères loges, pour assister
à ce fantastique feu d'artifice. Le vent souffle aujourd'hui avec force,
il se fait complice pour projeter sur nos toits et dans nos cours d'innombrables
étincelles... Le bombardement ne cessera plus un instant de la journée.
Bientôt notre hôpital a son tour. C'est le "Pavillon"
qui, à 13 h, donne le signal de la flambée. Courageux et crânes
2 hommes de Hon-Hergies, qui amenaient un blessé, essaient d'enrayer
l'incendie... Mais les bombes pleuvent, sans discontinuer sur le centre de
notre pauvre cité. C'est comme une pluie d'orage dont chaque goutte
entraînerait la foudre.
Une bombe enflamme une petite salle annexe de chirurgie où gémissent
8 petites filles blessées. Nous les sauvons en hâte dans la grande
salle de chirurgie-femmes... Mais les bombes pleuvent toujours mettant le
feu à la tourelle, à la pharmacie, au bloc opératoire...
Toute l'aile de chirurgie brûle à hautes flammes... Soeur Simone,
heureusement, pour éviter l'explosion, a eu la présence d'esprit
de vider dans la cour toutes les bonbonnes d'éther...
Bien aidées par 5 soldats brancardiers qui nous amenaient des blessés
(encore ! où les caser ?...) nous transportons en toute hâte
nos malheureux épouvantés dans les caves.
Les caves sont solides et ont des siècles d'âge. Elles sont vastes,
mais encombrées d'objets hétéroclites, inutilisables.
Surtout, elles sont remplies de charbon, la provision pour l'hiver prochain
y est déjà rentrée - rien n'a été prévu
- rien n'a été préparé - L'électricité
est coupée. Nous nous éclairons tant bien que mal aux lueurs
tremblotantes de bouts de bougies et de cierges puisés à la
sacristie qui n'a pas encore brûlé... Le dernier blessé
de chirurgie-hommes est tiré dehors, avec son lit, au pas de charge,
tandis que s'effondre le plafond de la salle où il était.
Dans les caves, quel tableau et quel entassement !!! Pas moyen de circuler,
sinon en enjambant les corps. Qu'allons-nous devenir ?
J'ai, pour ma part, la notion palpable que c'est impossible de sortir vivante
de ce chaos et de ce brasier.
Comme l'électricité, toutes les canalisations d'eau ont sauté.
Soeur Thérèse-Paul a descendu les 2 ciboires de la chapelle,
(avant qu'elle ne brûle) à la cave. Nous attendons d'un instant
à l'autre l'Abbé A. Borillon - il est convenu qu'il restera
avec nous dans les caves. Hélas... il s'est enfui, comme les autres,
nous apprend le Doyen, le Chanoine Flament, qui arrive... il nous rappelle
(!!) que nous allons mourir incessamment que la mort pour nous est inévitable,
et dit : "Egote absolvo" en nous donnant à chacune l'absolution
(sans nous confesser). Il nous exhorte à offrir généreusement
le sacrifice de notre vie... Ensuite, il donne à tous les blessés
l'absolution générale, aux mourants l'extrême-onction,
puis distribue la Communion en viatique, à qui la désire, jusqu'à
l'épuisement des 2 ciboires. Oh! cette communion, que nous croyons
la dernière de notre vie, reçue à 3 h de l'après-midi,
agenouillées sur le sol de la cave au milieu du plus invraisemblable
entassement, tandis que les bombes explosent et que brûlent à
hautes flammes presque toute la ville intra-muros et l'hôpital!!!...
......
- Il est 13 h.
Des fantassins allemands, impeccables, en file interminable, passent dans
notre rue, devant l'hôpital - Jeunes gars robustes, merveilleusement
équipés. Mais ils semblent inquiets, car dans les forts nos
soldats tiennent et le canon tonne toujours. Jusque tard ce soir nous entendrons
crépiter la fusillade et le tac-tac des mitrailleuses, mêlé
au bruit du canon. On se bat ferme, dit-on, au Fg de Mons. Nous laissons ouverte
à 2 battants la porte de l'hôpital, intentionnellement.
- 17 h - Visite de 2 officiers allemands. Ils éclatent de rire et sautent
de joie en regardant nos ruines, mais conduits dans les caves leur exubérance
joyeuse se change en ahurissement en y voyant entassés les blessés
et les Soeurs. L'un d'eux -dans un français impeccable- dit : "
Votre député-maire, c'est une canaille" (Pauvre M. Deudon
parti se réfugier en Dordogne !). L'autre s'informe si nous avons des
militaires parmi les blessés. Un grand salut hitlérien, bras
tendu, et ils s'en vont, courtois et souriants.
-19 h - Au long défilé des fantassins succède celui des
tanks puissants, des canons, des mitrailleuses, camouflés sous des
branchages, escortés d'innombrables avions. A perte de vue leur succèdent
camions, autos, motos. Quelle discipline !!! et quelle force ! ! !
Et l'on nous a chanté que les Allemands n'avaient rien! La fusillade,
maintenant, s'est tue. Mais les canons des forts tirent toujours. Combien
de jours tiendront-ils ? Et nous ??